Être chrétien, est-ce être un mouton ?

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste

En ces heures d’immigration extrême, il est beaucoup question de défendre l’Occident. Soit par référence à sa particularité, son histoire et sa culture, soit en invoquant l’universalité dont il se réclame depuis la Révolution française par le biais des droits de l’homme. Il y a longtemps que j’ai choisi le particulier parce que, sans respect pour notre héritage, nous nous dissolvons dans des principes abstraits et cessons d’exister. Si nous n’existons plus, l’universel disparaît lui aussi, tout comme l’humanitaire disparaîtrait lui aussi si nous étions envahis. Je veux dire que je n’ai pas choisi le particulier contre l’universel, mais que celui-ci me semble venir après le respect pour une tradition, une culture, des mœurs.

Comme il est aujourd’hui question de se défendre contre une invasion et d’autres menaces encore, il importe de rappeler que ne peuvent se défendre que ceux qui sont prêts à risquer leur vie. Personne n’est prêt à mourir pour le PIB, pour un taux de croissance. Mais cette vérité est difficile à regarder en face parce que, depuis 50 ans, on a pris l’habitude de ne s’engager que pour une élévation du niveau de vie. Difficile, dès lors, de s’engager dans une défense avec risque de mort, parce que quand on meurt, bye bye le niveau de vie.

Quand donc un risque de mort est-il pris ? La réponse coule de source : lorsqu’il est question de défendre beaucoup plus qu’un niveau de vie et les conforts de son petit moi. Quand est-ce que cela est possible ? Lorsque les hommes ont un héritage culturel à défendre. Dans un tel héritage, le religieux occupe une grande place. Qu’est-ce donc qui, en matière religieuse, nous a été légué par nos ancêtres ? Là aussi, la réponse est simple : le monothéisme. Comme ce mot, aujourd’hui, ne veut presque plus rien dire, quelques remarques sur ce thème ou ce dogme s’imposent, d’autant que l’islam, lui aussi, se réclame du monothéisme.

Si le monothéisme ne veut presque plus rien dire pour nous, il n’en est pas moins furieusement attaqué. C’est paradoxal, mais c’est ainsi. Il aurait été inventé, dit-on, par les prophètes de l’Ancien Testament. Il aurait servi à remonter le moral d’Israël, affaibli par l’exil à Babylone et de nombreuses défaites militaires. Quand, en ces temps anciens, un peuple perdait une bataille, il admettait que son dieu avait été plus faible que celui des vainqueurs et l’abandonnait. Seuls les Juifs, ces empêcheurs de tourner en rond, auraient fait exception et auraient estimé que leur dieu, Yahvé, était supérieur à tous les autres. Dès lors, il ne pouvait pas être renversé par un autre Dieu et Israël ne pouvait pas être complètement renversé par un ennemi. Le monothéisme avait été inventé et rendait invincible. Bien pratique pour ceux qui avaient échoué sur un champ de bataille. Au lieu d’accepter leur défaite et de répudier leur dieu, ils  gardaient l’espoir de gagner un jour. Au lieu d’accepter l’ordre des choses mis en place par le vainqueur, ils pouvaient entretenir en secret l’idée que cet ordre serait un jour renversé. Bref, un dieu unique permettait de ne pas se plier à ce qui est, à la réalité. Grâce à Yahvé, les Juifs puis les Chrétiens se sont mis à attendre l’avènement d’une autre réalité. Au lieu de vivre pleinement dans l’instant ou de s’y abandonner comme on dit aujourd’hui, ils se sont mis entre parenthèses. Donc, aujourd’hui, ils ne vivent pas vraiment. Mauvais ça ! Très mauvais ! Et c’est à cause du monothéisme !

Un dieu unique serait ainsi la consolation des plus faibles. Il aurait été la consolation d’Israël et, plus tard, la consolation des chrétiens. Les faibles, ceux qui ont été vaincus par de beaux et forts guerriers d’une race supérieure, trouvent donc dans le monothéisme de quoi digérer leur défaite et continuer à vivre en espérant une ultime victoire, alors qu’ils auraient dû être exterminés ou, tout au moins, réduits en esclavage .

Dans la salle, j’entendais Nietzsche applaudir. Malgré toute mon admiration pour lui, je n’aimais pas trop cet applaudissement.  Quelque chose me gênait. Après méditation, je crois avoir compris pourquoi.

Contrairement à l’animal, l’homme peut s’extraire de son environnement naturel pour le contempler globalement. Vaches et moutons ne peuvent se réunir pour débattre du réchauffement climatique, mais l’homme, oui ! Mieux encore, il peut s’extraire de sa civilisation pour l’analyser comme Montesquieu dans les Lettres persanes ou la juger comme Jérémie dans les Lamentations.

Pouvoir s’arracher ainsi à l’espace et au temps signale en nous une faculté extraordinaire. Tout se passe comme si nous n’étions pas vraiment du monde seulement. Tout se passe comme si nous étions aussi d’ailleurs. Étant d’ailleurs, nous pouvons voir ce qu’il y a autour de nous, puis le juger. Non pas sur tel ou tel point, mais sur l’ensemble. Bref, nous ne sommes pas englués dans les choses. Entre elles et nous, il y a une distance qui permet un jugement. Ainsi faisons-nous aujourd’hui porter beaucoup de jugements sur beaucoup de choses : la décadence de l’Occident avec Houellebecq – la menace islamique avec Redeker – l’effondrement de l’éducation avec Finkielkraut, l’insécurité avec un peu tout le monde.

Jugeant le monde, nous le déclarons généralement mauvais. Donc, nous nous estimons capables de savoir ce qui est bien : pour les uns, l’élimination de l’islam – pour les autres,  pas d’amalgame. Pour les uns, la défense d’une particularité, celle de l’Occident – pour les autres, la défense d’une universalité, celle des droits de l’homme.

Comme j’ai dit, je suis quant à moi plutôt favorable à une défense du particulier, c’est-à-dire d’une culture enracinée dans une histoire. Je perçois l’universel comme un rouleau compresseur qui écrase les frontières au nom des droits humains. Mais l’essentiel est cette faculté extraordinaire de juger le monde de l’extérieur. Hélas, cette faculté peut conduire à quelque chose de beaucoup moins extraordinaire, à savoir un jugement sur la totalité du monde et du cours des choses. La  France est foutue et l’avenir s’annonce effroyable.

Or, qui a autorité pour se permettre de tels jugements ? Savoir que nous ne sommes pas complètement dépendants de l’ordre des choses terrestres, d’accord ! Mais juger souverainement de ces choses, pas d’accord ! Pourquoi pas d’accord ? Parce qu’un minimum d’humilité est ici requis. Quel intellect est assez vaste pour dire ce qui est et ce qu’il faut faire pour rendre le monde meilleur ? En tout cas pas un intellect humain, parce que, depuis le temps, ça se saurait.

Très bien, dira-t-on, mais juger le monde et prétendre savoir ce qu’il faut faire pour le sauver, n’est-ce pas exactement ce qu’ont fait les prophètes de l’Ancien Testament, grands promoteurs du monothéisme ? Eh bien, non ! A chaque fois qu’ils jugent Israël ce ne sont pas eux qui effectuent ce jugement, car ils l’attribuent, ce jugement, à un Autre, à l’Éternel. Ils savent que seul un esprit infiniment plus puissant que le leur domine vraiment la situation et qu’eux en sont incapables. Ils  ont bien quelques lueurs, mais c’est tout. Ils n’ont pas la superbe de tout juger et de donner des recettes pour rendre le monde meilleur.

Ce message juif est encore amplifié dans le christianisme où le Christ n’est pas venu pour juger le monde mais le sauver.

Sauver et non condamner, tel est me semble-t-il la différence essentielle entre le monothéisme judéo-chrétien d’une part, le monothéisme de l’islam d’autre part. Pour les musulmans, nous savons ce que Dieu veut. Pas pour ceux qui ouvrent la Bible. La lire ne leur suffit pas, il faut encore se demander ce qu’elle veut dire. Pour autant que je puisse en juger, un musulman ne se demande pas ce que le Coran veut dire.

Tout le monde connaît cet encouragement typiquement chrétien à tendre l’autre joue. Mais qu’est-ce que cet encouragement veut dire au fond. Au pic de la pression musulmane sur l’Europe, au 8ème siècle, les chrétiens se le demandèrent et répondirent que le Christ ne nous demandait pas de nous comporter comme des moutons en toutes circonstances. Et nous, aujourd’hui, qu’allons-nous répondre ?

 

Notes

Je me suis appuyé sur le livre de Jean Soler,  L’invention du monothéisme, pour développer la thèse opposée à la mienne au début de cet article. L’ouvrage de Shlomo Sand, Comment j’ai cessé d’être juif, montre à quel point la tension entre l’universel et le particulier, l’humanité et Israël, peut devenir déchirante. Sur la prise du risque de mort, Hegel reste la référence avec sa lutte du maître et de l’esclave, référence développée par Francis Fukuyama dans son célèbre ouvrage sur la fin de l’histoire. Sur l’orgueil manifesté par la prétention à pouvoir dire ce qu’il faut faire pour accéder au meilleur des mondes, le Pape Benoît XVI a dit de belles choses en s’appuyant sur le philosophe russe Vladimir Soloviev. Impossible, enfin, de donner des références sur l’art de l’interprétation du Talmud ou de la Bible tant elles sont nombreuses.

 

Jan Marejko, 17 septembre 2015

 

4 commentaires

  1. Posté par De Salamine à Lépante le

    Être chrétien, c’est aussi se souvenir de quelques exemples qui ont su avec courage et à un moment donné, qu’ils soient catholiques, orthodoxes, mais aussi anglicans ou protestants car tous les chrétiens d’Occident comme d’Orient sont aujourd’hui concernés, d’affronter un agresseur commun.
    Jean Parisot de la Valette fut galérien et donc un esclave des turcs ottomans qui l’avaient fait prisonnier, puis il devient très Grand Maître de l’Ordre de Malte qui eu, bien avant Lépante et le siège de Vienne, un 11 septembre 1683 faire face au siège monstrueux de Malte.
    Notre adversaire par tous moyens mis à sa disposition veut forcer nos défense , il a un nom, il a un visage.
    Nous faisons tous face à une « hijra » massive provoquée contre l’Occident et la Chrétienté.
    Nous devons nous rassembler, mais pas seulement chrétiens, mais européens attachés à 2500 ans de valeurs occidentale contre un ennemi qui ne se réfugie pas , ne combat pas ceux qu’il prétend « fuir » mais loup dissimulé parmi les moutons veut forcer les portes de notre monde pour nous soumettre à sa loi.
    L’Europe à toujours été sous la menace e depuis son antiquité et se sont ses dirigeants faibles qui sont son pire ennemi, il manque des Thémistocle, des là Valette ou des Sobieski ou tout simplement des Churchill.
    C’est au peuples d’Europe de commencer à réagir en écartant leurs dirigeants veules ou traitres, de chasser ses Hippias, petits dictateurs de bureaux bedonnants et fourbes et de choisir ses Miltiade et ses Thémistocle.

  2. Posté par Marejko le

    Merci Marker pour ces belles paroles. Oui, le particulier ne prend son sens que dans l’universel. Et oui encore, les prophètes n’étaient pas des moutons, ce qui les a souvent amenés à payer de leur vie.

  3. Posté par Jean-Francois Morf le

    Les loups, très prolifiques, on déjà tué *590 million non-muslims* (Googlez!).
    soit, en moyenne, 410’000 par an pendant 1436 ans…
    Les *non-muslims*, c’est pas des moutons: ils finiront par entrer en résistance contre les loups.
    Il faudra alors viser en tout premier les mollahs et les imams.
    http://www.gatestoneinstitute.org/6527/migrants-rape-germany

  4. Posté par Marker le

    Pourquoi le particulier contre l’universel ?
    Plutôt le particulier DANS l’universel, comme la diversité des fleurs dans un jardin, ou la diversité des membres dans le même corps, ou l’analogie de la vigne, les sarments qui puisent à la même sève, au même Cep à la même Vigne. (Le Christ en tant que Verbe et Manifestation)
    Les religions sont le terrain où pousse la vigne.

    Les plants sous tuteurs sont les religions qui sont sous la pédagogie de lois contraignantes, et propre à leur espèce, il faut bien délimiter le terrain, son mode de culture…
    A ce stade-là, elles doivent se contenter de grandir et ne portent pas encore de fruits.
    Les religions pas mûres ont mangé et fait manger de leurs fruits amers et les luttes intestines s’en sont suivies.

    Le monothéisme est compris à la manière du monde et est confondu allègrement avec théocratie.
    Mais celui qui s’élève au-dessus de ces concepts moutonniers dira :
    Seul Dieu EST. Dieu est Un et nous existons (ek-sistere) dans sa manifestation qui est le Fils et le Fils est dans le Père.
    Un soufi est mort crucifié pour avoir dit cela, à l’instar de Jésus : Mansur_al-Hallaj
    Les vrais prophètes ont tous été mis à mort, car ils allaient à l’encontre des moutons et de ceux qui les gouvernent.

    Le prophète ou le sage d’une vieille vigne a gouté à la sève, il connaît son goût et peut en parler bien mieux que le jeune plant encore sous tuteur.
    Il n’a plus rien à perdre, il peut tendre l’autre joue avec joie et détachement, il connaît la réalité ultime : le fruit sera pressé pour devenir vin, et le vin c’est la symbolique de la maturité spirituelle.
    Le vin devenu sang du Christ.
    A noter que l’islam le vin est interdit, sauf pour le soufi qui s’élève au-dessus du troupeau, qui sait comme tout mystique ou sage que l’Homme spirituel n’est jamais né et qu’il ne mourra pas.

    « Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin dont nous nous sommes enivrés avant la création de la vigne. » (Ibn al Faridh)

    Celui qui boit à la Sève a d’abord appris à n’être qu’un sarment comme les autres, appris l’humilité, proche de l’humus, et ce n’est qu’ensuite qu’il se revêt des propriétés que le Créateur lui donne. Et ces propriétés-là dépassent infiniment les petites particularité à l’état de germe.

    C’est à ce moment-là que l’homme n’est plus un mouton….quand il cherche à percer dans le Royaume qui est en lui et en lequel il EST depuis toujours et dont il s’est séparé à cause de la croyance en son individualité propre, croyance enseignée depuis le jeune âge, mais qu’il faut dépasser et laisser les morts enterrer les morts…

    Car dehors, c’est toujours le même carrousel, la même histoire qui recommence, avec des costumes et des décors différents :

    « Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera,
    il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
    S’il est une chose dont on dise: Vois ceci, c’est nouveau! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.… (Ecclésiaste 1:9)

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