Crimée : comprendre un peu les Russes

Jacques-Simon Eggly
Jacques-Simon Eggly
Ancien Président des Suisses de l'étranger, ancien CN, journaliste

 

D’accord, Wladimir Poutine n’est pas rassurant. Certes, il ne craint pas l’épreuve de force. Sans aucun doute, son protégé, le Président ukrainien déchu et corrompu jusqu’à l’os ne méritait-il pas un meilleur sort. Et puis l’ordre international, donc la sécurité générale, postule le respect des entités nationales constituées, des intégrités territoriales. Mais les Occidentaux sont-ils très crédibles en donneurs de leçon se référant au droit et au respect de la souveraineté d’un pays ? Dans leur condamnation des velléités séparatistes ? Lorsque la Yougoslavie a éclaté on les a vus reconnaitre bien vite les différentes nouvelles Républiques indépendantes. Lorsque le Kosovo a voulu se séparer de la Serbie, on les a vus l’encourager, Micheline Calmy Rey parmi les premiers, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Quant aux Etats Unis, leur politique n’a cessé de viser à une sphère d’influence garantissant leurs marges de sécurité stratégique et leurs approvisionnements économiques, énergétiques. Alors, de grâce, pas trop d’hypocrisie.

On sait qu’il y a de mauvais souvenirs quant à la sécurité en Europe. Les Anglais et les Français laissant Hitler récupérer la minorité allemande de la Tchécoslovaquie : ce fut Munich qui l’encouragea à la suite. Mais Poutine présente-t-il le même risque d’engrenage vers une guerre de conquête ? Il faut tout de même se souvenir que la Crimée n’a été rattachée à l’Ukraine que dans les années cinquante, laquelle Ukraine était alors une République intégrée dans l’URSS. Il faut savoir que toute la politique séculaire de la Russie a tendu vers une maitrise de cette région, pour des raisons stratégiques, économiques et par rapport à l’identité des populations concernées.

Alors, bien sûr, on aimerait qu’une partition de l’Ukraine soit évitée et que Russes, Américains, Européens, l’OSCE que préside actuellement la Suisse s’entendent avec Kiev pour un apaisement et une solution de compromis. A cette fin, le nouveau pouvoir à Kiev

doit revenir sur des gestes malheureux et neutraliser ses nationalistes extrémistes.  Décréter que dans tout le pays, y compris dans les régions à majorité russophone, seule la langue ukrainienne serait langue officielle, langue enseignée dans les écoles, utilisée pour les contacts avec l’administration était une provocation qui a mis le feu aux poudres. Imaginons que Fribourg ou le Valais, cantons bilingues, décrètent que les Alémaniques devront apprendre et utiliser uniquement le français.

Il faut aussi se situer dans une perspective plus large. L’Occident s’est réjoui de l’éclatement de l’URSS et de l’effondrement du communisme. Il n’a pas tendu la main aux Russes autant qu’il aurait fallu. Il ne les a pas suffisamment aidés. L’extension de l’UE et de l’OTAN jusqu’à leurs frontières les a secoués. Il y a de l’humiliation chez les Russes. Poutine joue sur un sentiment de fierté retrouvé et il lui doit sa popularité envers et contre tous les aspects critiquables. Il serait bon que les Occidentaux trouvent ici, avec lui, un compromis et ne cherchent pas une victoire diplomatique humiliante qui n’ouvrirait pas des lendemains rieurs, ni du point de vue économique, ni sous l’angle de la sécurité. Les Russes ne sont pas nos ennemis potentiels ; ils sont des partenaires à respecter jusques dans leur histoire et leurs émotions.

Jacques-Simon Eggly, 8 mars 2014

4 commentaires

  1. Posté par Hélène Richard-Favre le

    Merci de cet avis un peu moins orienté que tant d’autres que l’on trouve ici et là et que je n’ai de cesse de viser sur mon blog.
    J’ai consacré de nombreux sujets à la perception de la Russie dans les medias occidentaux, vous le savez. L’évidence d’une certaine russophobie ne fait aucun doute. Mais elle ne date pas d’hier. Elle remonte à l’époque de Pierre le Grand et a été particulièrement active du temps de Napoléon.
    Cela dit et s’agissant de l’Ukraine et de la Crimée, quand on voit à quel invité on donne la parole sur les ondes de la RTS pour en parler, on reste bien perplexe.
    http://voix.blog.tdg.ch/archive/2014/03/16/darius-rochebin-pardonnez-moi.html
    Merci de votre attention et bien à vous
    Hélène Richard-Favre

  2. Posté par mine le

    Ne jamais oublier .

    1) Serbie : 10 millions d’habitants.
    Pays membres de l’ OTAN : 910 millions d’habitants.

    L’OTAN a attaqué la Serbie pour obtenir l’indépendance du Kosovo, berceau de la Serbie , afin d’y installer Le camp Bondsteel , une base militaire de l’OTAN

    2 ) Mitterand s’est déplacé, en pleine guerre , à Sarajevo le 28 juin 1992.

    Personne n’a fait la remarque : c’est le jour anniversaire de l’attentat de Sarajevo, 28 juin 1914. Mitterand voulait sans doute envoyer un message, mais nous sommes amnésiques.

    Dans les événements actuels opposant l’Occident à la Russie , il ne faut jamais oublier les deux faits ci-dessus.

  3. Posté par colibri le

    quand on voit ce qui se passe chez nous les dernières votations montrant bien l’incohésion totale régnant en Suisse et attaquer ,sans connaitre le fond de sa pensée le maitre du Kremlin ,c’est faire preuve de mauvaise foi et de complète ignorance
    Le seul avantage de ce genre d’ articles proches de la diffamation celle-ci étant de plus en plus perceptible sur le Net c’est que de plus en plus de lecteurs ne prennent même plus la peine de lire les blogs

  4. Posté par Marion Garcia Bedetti le

    Merci M. Eggly. Votre analyse est très juste. J’ai connu l’URSS, je connais la Russie et l’Ukraine, arrêtons de voir le Russie comme le pays qui incarne le mal. Certes, Putin n’est pas un exemple de démocratie, mais les USA et l’EU le sont-ils ? Enfin, je pense qu’il vaut mieux avoir à faire à plusieurs puissances mondiales, qu’à une seule. Et en-dehors de cela, le gouvernement à Kiev par intérim est également issu d’une « famille » corrompue. Et si nous écoutons certaines informations venant d’ailleurs (non occidentales) on doit bien reconnaître que ce fut un « putsch » à Kiev, avec des opposants qui tiraient également sur la foule… donc il n’y pas un seul méchant, les responsabilités sont partagées, avec l’occident (USA et EU) qui a violemment soutenu le mouvement de protestation sur la place Maïdan.

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