Antisocial: Comment le salaire minimum va éjecter les réfugiés du marché du travail légal

L'enfer est pavé de bonnes intentions.

 

Gauche et syndicats veulent lutter contre la précarité en fixant un salaire minimum, au niveau fédéral, "en tant que limite inférieure contraignante". Une mesure qui, outre le fait qu'elle ne prend pas en compte les disparités économiques sur le territoire helvétique, risque malheureusement d'avoir l'effet exactement inverse à celui escompté.

En effet, si les cantons pourront ajouter "des suppléments contraignant" ce salaire minimum, ils ne pourront rien en retrancher. Ainsi, même les cantons périphériques les moins chers devront supporter ce montant minimum. Montant susceptible d'être constamment réévalué en des termes que les initiants n'ont pas jugé utile de préciser plus avant qu'ils ne le font au chiffre 4 du nouvel article constitutionnel, mais dont on ne doute pas qu'ils le seront dans la loi d'application.

 

Brut ou net ?

A combien le minimum ? L'art 197 ch. 8 nouveau le fixe à 22 francs de l'heure, sous réserve de "l’évolution des salaires et des prix accumulée depuis 2011". Tant dans son argumentaire, que sur la brochure d'information du Conseil fédéral, le comité d'initiative ne précise pas s'il s'agit de 22 francs brut ou net. Cette absence de précision est pour le moins étonnante.

Dans un document de fond (p. 4), l'Union syndicale suisse (USS) demande 4000 francs pour 42 heures hebdomadaires, soit 23, 81 francs pour une heure. L'on en déduit donc qu'il s'agit d'un minimum légal de 22 francs net de l'heure;  "année de référence 2011" précise encore le texte.

 

Historique du chiffre

Comment en est-on arrivé à ce chiffre ? Dans ce même document, l'USS dit avoir calculé, en 2008, les deux-tiers du "salaire brut médian".

Sur son site internet, le groupe SolidaritéS, qui soutient l'initiative, rappelle encore un arrêt du Tribunal fédéral de 2010, selon lequel "le montant du salaire minimum cantonal doit se situer à un niveau proche du revenu minimal des systèmes d’assurance ou d’assistance sociale afin de ne pas sortir du cadre de la politique sociale et entrer dans celui de la politique économique."

 

Un exemple concret

En préambule, il convient de rappeler que tous les experts consultés, qu'ils soient favorables ou opposés à une indexation étatique, sont unanimes à reconnaître un phénomène d'affaissement des salaires sur la norme minimale légale. En clair, une fois une loi du salaire minimum votée, le montant de ce salaire a tendance à devenir la règle générale de tous les bas salaires. L'on pourrait fort aisément se consoler de cette tendance si, en même temps qu'il abaisse les salaires légèrement supérieurs, le salaire minimum portait à la hausse les salaires inférieurs. Or, un autre phénomène a fait jour, celui de la destruction de ces petits emplois, devenus trop chers sous la pression du minimum salarial légal, et leur remplacement par un recours croissant au travail au noir.

Le salaire minimum, tel qu'exprimé par le texte de l'initiative, risque de défavoriser grandement ceux, tant employeurs qu'employés, qui ont à coeur de respecter la loi. L'exemple le plus courant - où le recours au noir est considéré comme parfaitement normal et où un contrôle total  est quasiment impossible, sinon extrêmement coûteux -, reste celui la femme de ménage...

Tenons-nous en exclusivement au modèle légal. Le secteur ne manque pas de candidats, la profession est ouverte à toutes et tous, qui ne demande pas spécifiquement de qualifications particulières. Reste que si tout le monde peut aspirer à un tel poste, tout le monde n'est pas égal face à la demande et un phénomène d'indexation stricte des salaires aura pour première conséquence d'effondrer toute possibilité de concurrence, au détriment, bien sûr, des plus faibles. Les plus faibles ? Les livrets F, les requérants d'asile au bénéfice d'une autorisation de travailler.

Analyse

Le titulaire d'un Livret F se trouve en concurrence, dans ce domaine, avec des ressortissants suisses ou européens, indépendants ou non, et des entreprises de nettoyage. Entreprises et indépendants ont pour avantage principal d'épargner à leurs clients des montagnes de paperasse en se chargeant eux-mêmes de régler charges sociales et frais d'assurance. Leur prix tournent le plus souvent aux alentours des 30 francs de l'heure, parfois plus mais aussi parfois moins dans certaines régions périphériques. Il faut encore tenir compte du fait que les entreprises, qui travaillent en groupes de deux ou trois, emploient généralement moins d'heures.

A 22 francs net de l'heure, compte tenu des charges sociales, des frais d'allocations familiales, d'indemnités vacances etc., la femme de ménage coûtera environ 28,80 francs de l'heure à son employeur; compter encore environ cent francs d'assurance accident annuelle et une RC (entre 60 cts et 1 franc de l'heure au rythme de 4 heures par semaines, par exemple). Ajoutez à cela le tracas de la charge administrative, et la femme de ménage lambda, payée à l'heure et déclarée, aura définitivement cessé d'être attractive face à la concurrence des indépendants.

C'est le premier effet constaté des mesures d'indexation de salaire minimum, l'écrasement des petits emplois, le second étant une explosion du travail au noir. Explosion qui aura tôt fait de mettre les professionnels respectueux de la loi dans les plus sérieuses difficultés.

La Convention collective des travailleurs domestiques augmente le tarif horaire minimum en fonction des diplômes et qualifications. Est-il utile de préciser que ces phénomènes de distorsion de concurrence  que nous venons de citer aimanteront tous les salaires au minimum plancher à l'inverse de l'effet escompté.

Absence de qualification, difficultés de communication, désavantage administratif face à un citoyen suisse ou un ressortissant de l'UE, le titulaire d'un Livret F devra affronter de nombreux écueils, mais il en est un tout particulier que lui réserve par notre législation, la "taxe spéciale" de 10%; cadeau de la Confédération. Ajoutez à cela une retenue forfaitaire de 10% d'impôt à la source dont la récupération n'est pas toujours aisée, le Livret F, qui coûtera aux environ de 30 francs de l'heure à son employeur, ne se retrouvera, concrètement, au final qu'avec 17.6 francs en poche pour une heure; ce qui n'est guère encourageant. Déception qui ira croissant quand il découvrira, pour les raisons que nous avons évoquées ci-dessus, que patience, persévérance, application, certificats et qualifications ne changeront rien à son tarif.

A l'inverse, un Livret F déterminé à s'en sortir à n'importe quel prix ne pourra plus faire pencher la balance de la concurrence en sa faveur en baissant son salaire horaire en-dessous du minimum légal de 22 francs pour résister, par exemple, à la pression des indépendants frontaliers, lesquels travaillent au tarif de prestation légal dans leur pays. A titre d'exemple, rappelons que les salaires minimaux sont à 11,6 francs de l'heure en France, 10,3 en Allemagne. A ce régime, le requérant gagne plus à ne rien faire et à rester à l'aide sociale, voir à basculer dans la clandestinité; et cette remarque vaut tout aussi bien pour tous les autres résidents suisses.

L'hypothèse enfin n'est pas à écarter que l'instauration d'un salaire minimum puisse donner prétexte aux milieux patronaux de torpiller les dispositions salariales des conventions collectives. Le minimum fera loi en toute circonstance et les débats ne porteront plus que sur l'indexation "sur l’évolution des salaires et des prix"; au menu, asphyxie généralisée agrémentée de quelques relents d'économie socialiste.

Conclusion

En faisant passer le salaire minimum de 19 francs (18,60 dans certains cantons) à 22, le salaire minimum va fortement décourager les petits employeurs à se déclarer de façon régulière, parfois même à la demande de leurs employés, d'autres renonceront et commenceront à investir dans des robots-ménagers, ce qui représentera une perte considérable pour une part importante de travailleurs ne pouvant se passer de ce genre de revenus.

Déjà peu favorisés à la base, les titulaires de Livret F se trouveront prisonniers d'une mesure qui, les rendant trop chers vis-à-vis de la concurrence, leur interdira de faire baisser leurs tarifs pour malgré tout trouver de l'emploi. Ce chômage organisé prétéritera grandement leur chance d'intégration dans notre pays avec les conséquences que l'on peut imaginer en termes de coût social, de santé, de criminalité etc. Bref, une mauvaise idée, belle sur le papier, fatale dans la réalité.

Un commentaire

  1. Posté par Lafayette le

    C’est un parti pris, certain pensent que cela éjectera les travailleurs précaire ,mais nécessaires ce qui en soit est donc très peu probable.

    Par contre ce qui est certain c’est qu’en matière de dumping salarial cela simplifiera le contrôle et la règle, car un travailleur sous payé sera de facto un illégal, donc expulsable vu qu’il y aura violation des lois.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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