Terrorisme : une analyse si déficiente

Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
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La pauvreté des débats sur le terrorisme est stupéfiante. Poser des bombes, tuer, égorger, relèverait de la maladie mentale, ou de l'endoctrinement, ou d'une perte du sens de la vie. Balivernes ! Lors de la Révolution française qu'on donne comme le fondement de notre civilisation, on a non seulement décapité 3000 personnes en une année et demi dans la seule ville de Paris, mais on a encore promené leur tête au bout de piques.

 

Un ami me rappelle souvent que l'histoire de l'humanité n'est qu'un long crime contre l'humanité.[1] De même, la vie humaine n'est qu'une longue révolte contre l'ordre des choses. Le plus bref coup d'œil sur l'histoire suffit à nous en convaincre. Être jeune, généreux, passionné, c'est dire "non" à un monde toujours plus ou moins injuste, corrompu, menteur. Un "non" qui n'est pas synonyme du souhait d'améliorer les choses, de les réformer, mais de les rejeter, de les détruire, pour faire advenir un nouveau monde. Cette soif d'un nouveau monde, ce messianisme, pour employer le terme adéquat, vient d'un élan qui fait partie de la nature humaine et cet élan s'exprime par un discours sur l’au-delà ou une idéologie portant sur l’ici-bas. La plus grave question qui se pose à chacun de nous est celle de savoir ce qu'on va faire de cet élan. Va-t-il nous conduire à la haine ou à l'amour ? Au terrorisme ou au service d'autrui ? Nous sommes seuls face à ce choix.

 

A l'époque du Christ, les terroristes abondaient ; on les appelait alors des zélotes et parmi eux, on en a repéré quatre qui se considéraient comme des messies annonçant un monde nouveau.[2] Ils séduisaient beaucoup et nous savons que l'historien Flavius Josèphe a fait tout son possible pour stopper cette séduction, c’est-à-dire pour qu'on les considère comme des bandits et non comme des Juifs. Cela dit, les zélotes, ne séduisaient pas tout le monde. Ils faisaient peur aussi, parce que l'annonce d'un monde nouveau menace tous les privilèges.[3] Si l'on ne connaît pas ce contexte, la crucifixion du Christ est incompréhensible. Un messie, aux yeux des puissants, surtout de ceux qui collaboraient avec les Romains, c'était un peu comme un chef terroriste pour les nazis. Il fallait l'éliminer. Cela ne posait pas de problème aux Romains. Mais pour les Juifs c'était très compliqué car leur tradition faisait place à un messie.

 

Au 19ème siècle, l'histoire du terrorisme en Russie, fait froid dans le dos avec tout le sang versé. Le tsar Alexandre II échappa à quatre tentatives d'assassinat, avant de succomber dans la cinquième, les jambes arrachées et le ventre déchiqueté. Histoire bouleversante aussi lorsqu'on considère tous les idéalistes/terroristes qui ont croupi en Sibérie, dans des geôles, ou à la forteresse Pierre et Paul. De l'idéalisme,  il y en avait même chez Netchaïev, figure satanique s'il en est, et qui a fourni à Dostoïevski la matière de son roman, Les Possédés.[4]

 

Ce ne sont là que deux exemples montrant l'omniprésence du terrorisme dans l'histoire humaine. Lorsqu'on parle du terrorisme islamiste, la première chose à faire est de le replacer dans un large contexte historique. Mais on ne le fait pas et ne le faisant pas, on se comporte comme ces autorités soviétiques qui, avant la chute du Mur, considéraient les opposants au régime comme des malades mentaux. Pour ces autorités,  il fallait être fou pour s'opposer à l'ordre des choses communistes. Cet ordre était le meilleur qui fût et il était incompréhensible qu'on pût le contester car il était établi pour les siècles des siècles.  N'avons-nous pas la même impression aujourd'hui lorsque l'Occident, au nom de la haute civilisation qu'il estime être, se positionne face au terrorisme ? N'avons-nous pas l'impression que nous aussi, aujourd'hui, nous considérons l'ordre démocratique, libéral ou républicain comme un ordre qui va durer éternellement ? Qu'il faille le défendre, cet ordre, bien sûr ! Mais le défendre comme l'intellectuel Marcel Gauchet qui le considère comme un horizon indépassable pour l'humanité,  non ! Personne n’a le monopole de l’avenir. Personne ne peut nous dire ce qui est éternel et ce qui ne l’est pas.

 

Un terroriste n'est pas nécessairement un malade mental. Parfois il l'est, parfois il ne l'est pas. Tenter de distinguer entre les deux à partir de la violence n'éclaire pas grand-chose. Menahem Begin, qui devait devenir premier ministre de son pays, a recouru à la violence dans sa jeunesse lorsqu'il a posé une bombe dans l'hôtel King David à Jérusalem pour renverser l'ordre des choses coloniales et créer des conditions propices à la fondation de l'Etat d'Israël.

 

Aujourd'hui, l'impression qu'on retire de la plupart des débats sur les terroristes est que ceux-ci sont des fous. Certains, oui, mais certainement pas tous et cela, on le comprend lorsqu'on a un minimum de connaissances au moins sur les deux périodes que je viens d'évoquer. Je n'en ai évoqué que deux. Il y en a des centaines.

Jan Marejko, 29 octobre 2014

 

[1] D'Aristote qui disait que "tous les grands hommes en politique ont été manifestement mélancoliques" (on dirait dépressif aujourd'hui) à Staline pour qui "l'histoire était remplie de gens anormaux" (Simon Sebag Montefiore, Staline : la cour du tsar rouge, 2005),  il y a un large consensus sur le fait que l'histoire,  comme disait Shakespeare "is a tale told by an idiot".

 

[2] S.G.F.  Brandon a été le pionnier des études portant sur cette période dans son ouvrage, Jésus et les Zélotes: Recherche sur le facteur politique dans le christianisme primitif. Traduit de l'anglais, Paris: Flammarion, 1975. Reza Aslan, un converti à l'islam, suit la même ligne dans un ouvrage publié en 2013, Zealot, New York : Random House.

 

[3] Sur le caractère universel et non national du christianisme, saint Jean Chrysostome, docteur de l'Eglise (347-407) est très clair. Parlant des disciples du Christ comme de douze ignorants, il se demande comment ils en sont venus à se mobiliser et à mobiliser leurs contemporains contre la terre entière. Voir son Homélie sur la lettre aux Corinthiens. Chrysostome fait évidemment leur éloge.

 

[4] Le terrorisme russe est magistralement présenté par René Cannac dans Netchaiev, du nihilisme au terrorisme, Payot, 1961.

8 commentaires

  1. Posté par Lafayette le

    @patrick lévy: Diderot a écrit ceci à propos de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie.
    Mais cette vérité historique ne semble pas si certaine, et on peut y trouver autant de raison à chaque religion de faire disparaître des textes.
    D’autant plus que le nombre de destruction d’écrit au nom de la chrétienté est tellement important que même Diderot aurait changé de religion sans toutes ces manipulations discréditant tantôt une religion tantôt une autre.

  2. Posté par Gogoboy le

    Le terrorisme est un puissant moyen de contrôle social car il oblige la population à prendre parti sous la contrainte.

  3. Posté par patrick lévy le

    Diderot a écrit: l’islam est l’ennemi de la Raison. Patrick Lévy.

  4. Posté par Lafayette le

    Je trouve intéressant le sujet, car il met en lumière le début du changement. Mais l’analyse s’arrête sur les révolutionnaires, alors que l’histoire montre que c’est rarement eux qui bénéficient/profitent du changement. Comme quoi la violence ne leur a rien apporté de plus. Il y a souvent une récupération après que les méchants terroriste pas très fréquentables soient passés faire le sale boulot, les chevaliers de l’apocalypse en quelque sorte.
    Et à ce jeux il est ridicule de croire que l’histoire biblique ne cache pas son lot de disgrâce.

  5. Posté par Lafayette le

    D’ou le fameux proverbe :

    Avec des messie on refait le monde.

  6. Posté par Jan Marejko le

    Ephraim, vous avez raison, d’où des martyrs et non des terroristes dans les premiers siècles du christianisme. Mais dans les premiers siècles seulement… après ça se gâte.

  7. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    « … être jeune, généreux, passionné, c’est dire « non » à un monde toujours plus ou moins injuste… » Voici un propos qui introduit ma lecture de « tu honoreras ton père et ta mère… afin que tu vives longtemps dans le pays que l’Eternel ton Dieu te donne ». Notez la nuance en être « aimer » et « honorer »! Aime ton prochain, honte père et mère, cela déjà interpelle. Mais le verbe honorer repos sur un mot signifiant à la fois « gloire », et « poids ». Si nous retenons gloire,comme c’est le cas, nous ne pouvons que nous prosterner devant nos divins parents! Ces modèles… Voir à ce propos les livre d’Alice Miller.
    Or, comme il ne le sont pas, la colère s’oriente ailleurs! Qui sait qu’il bousille son père au Levant ou dans les manifs? Ce père que parfois il révère encore.
    Qui donc a vu que les parents d’Oedipe étaient un brochette d’ordures? Le père en particulier! Qui envoient un larbin faire le sale boulot à leur place… tuer le fils! Et que ce n’est même pas pour cela qu’Oedipe bousille son père, puisque il ne sait pas qui il est! Pas plus qu’il ne sait qu’il épouse sa mère et la saute. Bref, on ne sait plus trop qui est qui dans cette histoire. Qui parle d’aujourd’hui!
    « Honorer père et mère » va au-delà de papa et maman, mais s’étend à tout le contexte qui nous engendre. Donner du poids n’est ni approuver, ni se révolter, ni fuir dans la marge, c’est faire face! Mais qui le dit? Et puis faire face c’est se poser en témoin.. N’est-ce pas, race incrédule et perverse?
    Merci Monsieur Marejko. Permettez que je pose sur votre épaule une main bienveillante, fraternelle, paternelle et filiale. Tout en un? Oui!

  8. Posté par Ephraim le

    Il reste que le Christ n’a jamais tué personne au contraire de Mahomet. On peut tenter de cacher ces faits sous des tombereaux d’essais et de réflexions savantes, mais on ne peut pas faire que le Christ ait tué ou que Mahomet n’ait pas été violent.

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