Non, notre démocratie n’est pas une armoire à mythes

Pascal Décaillet
Pascal Décaillet
Journaliste et entrepreneur indépendant
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La campagne autour de l’initiative Ecopop, sur laquelle le peuple et les cantons se prononceront le 30 novembre, représente une double bataille dans le champ politique suisse. Elle est bien sûr la campagne sur le texte lui-même. Mais elle est aussi, de manière plus large, un épisode de plus dans la guerre féroce qui se mène depuis quelques années autour de l’existence même de notre démocratie directe. Un fleuron que tant de nos voisins nous envient, mais que d’aucuns, de l’intérieur de notre pays, voudraient voir revisité à la baisse. Pour la simple raison que les initiatives, de plus en plus nombreuses, de plus en plus gagnantes (par rapport à l’époque lointaine où j’ai commencé à observer la politique suisse), les  exaspèrent.

 

Face à ce succès grandissant, face à la place que prend la démocratie directe dans l’univers sémantique de note vie citoyenne, au détriment des petits jeux de miroirs de la vie parlementaire (si souvent discréditée par les élus eux-mêmes, occupés à vivre entre eux, se tutoyer sur les réseaux sociaux, préférer la défense de leur caste à celle des citoyens, larmoyer entre eux face au « populisme » montant de la masse, nécessairement inculte, infantile, et manipulée à leurs yeux), les voix et les plumes, se multiplient pour exiger un rétrécissement du champ de la démocratie directe. Pour y parvenir, ils la discréditent.

 

Dans ce travail de dénigrement, ils se permettent tous les coups. La démocratie directe suisse ne serait par exemple qu’une « mythocratie ». Étymologiquement, un pouvoir laissé aux récits, ce qui ne serait pas sans charme. En fait, un pouvoir aux mythes, dans le sens péjoratif du terme, on l’a bien compris. L’affirmer n’est rien moins qu’un mensonge. Juste une tentative, ridiculement lisible, de faire passer les partisans de la démocratie directe pour des arriérés du folklore, des ennemis de la Sagesse, de la Lumière, de l’idéale Géométrie, de la Raison. Comme si ces derniers concepts – assurément respectables – n’étaient eux aussi porteurs de leur part de mythe et d’idéalisation. Avec certains de ces joyeux Ventilateurs de Suisse romande, on a toujours l’impression de s’enfoncer dans l’épaisse forêt d’initiation qui, comme dans la Flûte enchantée, nous conduirait à la Lumière. Ou à l'Europe. Ou à la supranationale Communion des Saints.

 

Beau récit, j’en conviens. Mais justement un récit, un « muthos » parmi d’autres, mythe au milieu des mythes, contre-religion au 18ème siècle, dans les décennies précédant la Révolution française, combat que je respecte mais qui n’a rien de moins mythique qu’un autre. Ça n’est pas la Raison (Vernunft) contre le Mythe. Mais le mythe de la raison contre d’autres mythes, celui de l’appartenance, celui de la « Gemeinschaft », celui de l’émotion commune, etc. En ramenant la démocratie directe à une mythologie de l’émotion, on nous produit un pur et simple mensonge. On le fait sciemment, à seules fins de dénigrer une voie populaire dont le succès grandissant commence à inquiéter.

 

Une initiative, en Suisse, n’a rien de mythique. En tout cas, rien de plus qu’un débat parlementaire. Elle un juste un outil (organon), parmi d’autres, de notre vie démocratique. Elle est, depuis plus d’un siècle, parfaitement prévue dans notre ordre constitutionnel. Elle n’a rien d’exceptionnel, ni en bien ni en mal. Elle n’a rien d’impropre, rien de sale. Elle est juste une volonté de changer un article de la Constitution fédérale, avalisée par au moins cent mille signatures, avant de l’être (ou non) par une majorité du peuple et des cantons. Exactement comme un débat parlementaire. Sauf que le corps électoral est de quatre millions de personnes, au lieu de l’être d’une centaine, ou deux cents. Ou de quarante-six. La seule chose qui change, c’est l’ampleur du débat, la caisse de résonance, la dimension nationale de l’explication citoyenne. Rien de mythique, juste un organe. Parmi d’autres. Il n’a jamais été question, jusqu’à nouvel ordre, de donner congé à nos Parlements cantonaux, ni à l’Assemblée fédérale.

 

J’invite donc mes concitoyennes et concitoyens, et tous ceux qui me font l’amitié de me lire, à ne pas se laisser faire par cette immense entreprise de dénigrement de notre démocratie directe suisse. A ces gens-là, ceux qui conspuent et ceux qui ventilent, il faut réserver la petite surprise de leur répondre non par le langage des mythes, mais par celui de la Raison triomphante, avec ces syllogismes articulés qu’ils adulent, dans l’éblouissement de ce qu’ils appellent Lumière. Pour mieux camoufler les petites parts d’obscurité de leurs intérêts corporatistes.

 

Pascal Décaillet, 13 novembre 2014

 

4 commentaires

  1. Posté par Michel de Rougemont le

    Il vaut mieux avoir à lutter contre des initiatives imbéciles que de les étouffer dans l’œuf.
    On apprend ainsi à mieux se forger une opinion et à débattre, même si de temps en temps on se prend un autogoal.
    Comme rien n’est vérité en démocratie mais seulement manière de participer à des décisions et de contrôler les pouvoirs, ceux qui désirent éviter de traiter certains sujets ont en fait peur que leurs pseudo-vérités puissent être mises en cause. Ce sont les véritable idéalistes totalitaires, héritiers de Platon, Rousseau, Hegel et Marx.

    Ecopop est un exemple de mélange de deux objets liées entre eux de manière si ténue que c’en est ridicule. Dans ce cas on aurait dû en faire deux initiatives, pas zéro.
    Et j’espère que la Raison triomphante qu’appelle de ses vœux Pascal Décaillet mènera au rejet de cette initiative.

  2. Posté par Lafayette le

    Cela n’empêche pas de penser qu’une initiative doit être complétée par une étude de faisabilité dans son ébauche de plan d’application. En gros on veut un projet, on l’étudie entièrement avant l’acceptation. Même si cela reste limité à des grande lignes directrices, cela permet de discuter et fixer l’impact avant une votation.

  3. Posté par Leb le

    20minutes.ch du 6 octobre 2014 :
    « Lancer une initiative populaire sera plus difficile.
    La commission des institutions politiques du Conseil des Etats a élaboré des principes visant à ne pas soumettre au souverain des initiatives populaires jugés dangereuses. La liste des critères pour invalider une initiative sera élargie. …… »

    Idem dans les 24heures du 6 oct.14 :
    Des critères plus sévères pour les initiatives.
    « …..Des textes comme l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents irrécupérables (2004), l’interdiction de la construction de minarets (2009), le renvoi des étrangers criminels (2010) ou l’interdiction de travailler avec des enfants pour des pédophiles (2014) sont jugés en revanche trop rigides et systématiques. ……….. »
    Pour simplifier : les initiatives non-gauchistes seront tous invalidées dans le futur.

  4. Posté par groudonvert le

    Tss, même des vieux (avec tout mon respect) veulent réduire la portée de notre démocratie directe. Ca devient du grand n’importe quoi.

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