Energie : le projet Volteface de l’UNIL, une démarche bien étrange pour une université.

Jean-François Dupont
Ingénieur-physicien EPFL

Le projet de transition énergétique de la Confédération, fait l’objet de critiques sérieuses de la part d’experts du terrain. Reproche principal : un manque d’expertise scientifique. Or l’UNIL lance un projet dénommé Volteface, précisément pour mieux réfléchir à la nouvelle politique énergétique proposée. On aurait attendu que, dans le « questionnement » soulevé par l’UNIL, une part au moins, même réduite, soit consacrée à ce reproche de manque de sérieux scientifique de la Stratégie Energétique 2050. Ce n’est pas le cas: des documents disponibles on comprend, entre les lignes, que le projet Volteface admet a priori que la Transition Energétique est juste et fondée. Seul problème : il y a des réticences et des sceptiques. La vocation du projet Volteface ne serait pas de questionner scientifiquement la valeur de la Transition énergétique, mais de convertir les récalcitrants avec des méthodes socio-psychologiques. Pour dire les choses crûment, l’UNIL est-elle en train de préférer la rééducation à la critique scientifique ? Qui plus est avec le soutien de Romande Energie et de notre Ministre cantonale de l’énergie ?

  

Les critiques des experts

Les experts critiquent deux points essentiels de la Stratégie énergétique de la Confédération :

1) la politique d’économies d’énergie et de recours volontariste au vent et au soleil ne fait pas l’objet d’un programme élaboré, validé et chiffré, mais de vœux politiques qui se révèlent largement irréalistes si on prend sa calculette. Le risque : sous-estimer gravement les difficultés techniques et les coûts. De plus il faut bien comprendre que ces risques ne sont pas pour les électriciens ou pour les administrations, fédérale ou cantonales : ils seront supportés essentiellement par les citoyens-consommateurs dans toutes leurs activités, ménage, loisirs et travail.

2) Une interdiction de technologie n’est pas le meilleur, ni le premier moyen à mettre en oeuvre pour se prémunir d'un risque technologique. Cela vaut aussi pour le nucléaire. Il manquait plusieurs dispositifs de sécurité aux réacteurs de Fukushima, dispositifs dont les réacteurs suisses et la plupart européens sont équipés. La TEPCO avait d’ailleurs refusé une offre de rééquipement d’Electrowatt. Aucun réacteur équipé de manière sérieuse n’a jamais contaminé son voisinage. Une sécurité efficace des réacteurs et de la gestion des déchets est bien moins coûteuse que le renoncement aveugle au nucléaire. En plus, c’est fait et déjà payé.

 

Si le public était mieux informé, accepterait-il un remède de cheval non justifié?

On trouvera plus d’information sur ces critiques des experts dans des articles précédents des Observateurs, dont celui-ci qui les résume: http://www.lesobservateurs.ch/2014/11/20/nucleaire-les-scientifiques-font-les-zouaves/  

 

Le projet Volteface-UNIL

Ce projet fait l’objet d’un site Internet www.volteface.ch . La RTS 1ère a publié dans son émission Tribu du 21 janvier 2015 une longue interview de Mme Nelly Niwa, cheffe du projet Volteface à l’UNIL :

http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/tribu/6436125-tribu-du-21-01-2015.html .

Cette interview a été analysée par Michel de Rougemont sur son blog http://blog.mr-int.ch/?p=1677&lang=fr et sur Les Observateurs http://www.lesobservateurs.ch/2015/02/10/endoctrinement-energetique-transitoire-jespere/

Son analyse est inquiétante. Le public était invité le 2 février dernier à un premier workshop ainsi qu’à une manifestation officielle de lancement du projet à l’UNIL.

 

Impressions sur le Workshop

Dans le brainstorming du workshop, nous étions invités à « formuler des questions ». J’ai soulevé celle qui m’intriguait, à savoir : « Est-il possible de formuler des questions en relation avec la rationalité et la validité scientifique de la Transition énergétique, s’agit-il de convaincre les sceptiques par des méthodes socio-psychologiques ou ai-je mal compris les informations disponibles sur Volteface? ».

 

Dans une autre partie du workshop on nous faisait réfléchir à la question suivante : « Comment évaluer et améliorer l’efficacité des dispositifs mis en place ? ». Je pose une 2e question : « De quels dispositifs veut-on nous parler? Qui en a trouvé dans la documentation du Conseil Fédéral sur la Stratégie Energétique 2050? À ma connaissance il n’y a pas encore de dispositifs, c’est bien un de ses grands défauts, il n’y a que des objectifs, mais pas de moyens définis. ».

 

Mes deux questions naïves, n’ont pas suscité la moindre bienveillance, même pas d'un peu de condescendance qu'aurait pu manifester la haute science universitaire à l'égard d'un ingénieur de terrain qui n’aurait visiblement rien compris. Aucune tentative de dissiper d'éventuels malentendus. L’animatrice m’a clairement fait entendre que mes questions n’étaient pas convenables et n’allaient pas être traitées.

 

Ensuite, sous la forme d’un jeu de société basé sur la rédaction de papiers post it à accrocher sur des panneaux, les participants exprimaient leurs préoccupations. Ce qui m’a frappé : la préoccupation essentielle  qui ressortait du « jeu »était un vaste sentiment de culpabilité collective lié au problème majeur, identifié comme la surconsommation d’énergie. Il y avait un appel incantatoire quasi-religieux à la sobriété. Les termes qui revenaient sans cesse étaient assez de technologie, les solutions ne seront pas techniques, ce qu’il faut c’est un changement de paradigme, un changement de mentalité et un changement de modes de vie. Très troublant p.ex. cette participante - pour qui le mot marketing représentait certainement la cause essentielle de la surconsommation et donc un vilain mot  -  qui avouait : pourquoi pas quand même du marketing, pour vendre les économies d’énergie ?

 

Je sais, tout cela n'est pas faux, mais ce diagnostic est-il vraiment à la hauteur des enjeux énergétiques? De plus, paradoxe, n’est–on pas dans un des pays au monde le plus économe, en énergie et même en tout ?  

 

Sur la manifestation officielle de lancement

Je m’attendais à beaucoup de rappel à l’horreur du nucléaire en général et de Fukushima en particulier. Faire peur est une bonne recette pour influencer les opinions. Contre toute attente, je n’ai pas du tout entendu le mot Fukushima et presque pas le mot nucléaire. J’ai été sincèrement surpris. De fait les orateurs ont surtout évoqué la même détresse que les participants du workshop qui avait précédé: la planète est malade, et risque de mourir. De quoi? De boulimie énergétique, les excès du fossile étant particulièrement visés.

 

Il est vrai que la Stratégie énergétique 2050 veut supprimer le nucléaire et réduire fortement le fossile. Le discours officiel déclare : c’est possible, les nouvelles énergies sont là et ont un grand potentiel. Elles suffiront, mais...il  faudra consommer beaucoup moins (sic). En précisant même : et ce sera globalement moins cher, parce que même si l’énergie sera un (petit) peu plus cher, la consommation sera (beaucoup) réduite. Qui y croit vraiment ? J’ai même eu un soupçon: les hauts représentants de l’UNIL, du canton et de Romande Energie qui s’exprimaient étaient peut-être surtout inquiets à la perspective que cette Stratégie Energétique se réalise vraiment avec son cortège de restrictions, d’interdictions et de taxes. Mais politique et posture idéologique obligent, il faut bien la soutenir, quitte à utiliser un discours ambigu qui permette de quitter le navire sans trop de mal en cas de naufrage. Bon, probablement une projection de mes fantasmes.

 

Deux indices que je sur-interprète sans doute :

1) Monsieur Pierre-Alain Urech avoue qu’une disposition du projet fédéral lui fait vraiment mal. C’est celui des quotas de baisse de la consommation que les distributeurs devront « obtenir » de leurs consommateurs. Quotas qui seront assortis de sanctions en cas de non-respect. Ce qui fait particulièrement mal au directeur général de Romande Energie : les sanctions prévues, financières, seront infligées aux distributeurs d’électricité.

2) Un participant interpelle Mme Anne-Catherine Lyon avec une question sur le rôle de l’éducation dans la préparation des futurs citoyens aux économies d’énergie. La Ministre vaudoise de l’Education explique que l’école peut beaucoup, mais qu’elle doit être neutre et conclut sur cette remarque : l’école a beaucoup de peine à attirer les jeunes dans les formations scientifiques HES et EPF. La cause : la science est perçue aujourd’hui comme une menace par la société, donc aussi par les jeunes. Elle a sincèrement l’air de le regretter.

 

Voilà peut-être une autre question inconvenante que j’aurais envie de soumettre à Volteface, si on m’accueille encore dans un prochain workshop : mais d’où vient, et de qui, cette vision catastrophique de la science ?

 

Question troublante

 

Que veut l’UNIL avec Volteface, une réflexion ouverte et sans a priori sur la pertinence de la Transition Energétique, bref exercer cette liberté de pensée dont la défense est à la fois  d'une grande actualité et une vocation de toute université? Ou veut elle surtout convaincre, voire rééduquer  les esprits sceptiques ?

Jean-François Dupont, 10 février 2015

Article publié également sur www.ClubEnergie2051.ch

 

3 commentaires

  1. Posté par Michel de Rougemont le

    @Jan Marejko
    Il me semble que ces « ceux » sont les mêmes: hubris destructeur et hubris prométhéen.

  2. Posté par Jan Marejko le

    Entre ceux qui attendent de la science le salut (transhumanisme) et ceux qui voient en elle le pourvoyeur de l’Apocalypse, il faudrait trouver un équilibre.

  3. Posté par Jean Rossier le

    Ce repaire de gauchistes n’est guère prêt à changer…
    Ils viennent d’augmenter de 225% le prix des places de stationnement pour étudiants. Sympathique lorsque l’on habite à 2 heures de trajet en transport publique, et 40 minutes en voiture. Merci l’Uni.

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