L’euro sent le sapin

 

Michel Sapin, ministre des finances français, a déclaré aux médias le 27 février que la Suisse avait vocation à rejoindre l’union monétaire européenne. Edifiante affirmation d’un euro-béat déconnecté des réalités. L’euro n’est pas viable et les peuples européens finiront tôt ou tard par s’en libérer.
Dans cet article, nous expliquons pourquoi l’économie européenne fonctionnait bien avant l’euro, pourquoi elle bat de l’aile depuis son introduction, et pourquoi les peuples du sud de l’Europe vont s’en débarrasser.

La croissance économique en Europe avant l’euro :
Avant d’adopter l’euro, les pays européens suivaient un modèle de croissance qui peut être schématisé comme suit :
Prenons un continuum de ces pays de 0 à 10. Les pays proches de 10 (par exemple l’Allemagne et les Pays-Bas) bénéficiaient d’un haut niveau de productivité ainsi que d’une spécialisation dans des produits à forte valeur ajoutée comme les biens d’équipement et les automobiles haut de gamme.

Les pays proches de 0 (par exemple la Grèce et le Portugal) étaient caractérisés par une productivité limitée et une spécialisation dans des secteurs à faible valeur ajoutée comme l’agriculture et les textiles.
Plus un pays était proche de 0, …
… plus rapide était la dévaluation de sa monnaie par rapport aux monnaies des pays proches de 10: pour compenser la faible valeur ajoutée de leurs produits et leur productivité insuffisante, les pays en bas de l’échelle devaient laisser leur monnaie se déprécier. Ils comptaient sur la compétitivité-prix via une monnaie dévaluée pour pallier un manque de compétitivité par la qualité et la productivité.
… plus élevé était son différentiel de taux d’intérêt avec les pays les plus proches de 10: à cause d’une productivité réduite, de hausses importantes des salaires nominaux et d’une monnaie faible, les pays proches de 0 souffraient d’une forte inflation. Combinée à des profils de risque économique et politique élevés, cette situation se traduisait par de hauts taux d’intérêt, ce qui limitait les montants des dettes que les ménages, les entreprises et les gouvernements pouvaient se permettre de contracter.
… plus basse était la croissance des salaires réels en comparaison avec celle des pays proches de 10: une faible productivité implique des salaires réels peu élevés. Avant l’euro, les salaires nominaux augmentaient rapidement mais une inflation soutenue maintenait les salaires réels sous contrôle. Cela contribuait à préserver la compétitivité des pays d’Europe du Sud vis-à-vis de leurs partenaires européens.
Ces trois mécanismes agissaient en fonction de l’évolution des caractéristiques économiques, sociales et politiques des différents pays européens les uns par rapport aux autres. Ils étaient à l’œuvre depuis de nombreuses années et illustraient notamment une loi économique irréfutable, à savoir qu’une économie avec une compétitivité et une productivité faibles ne peut bénéficier d’une monnaie forte, de taux d’intérêt bas et d’une forte croissance des salaires réels.

La croissance économique en Europe après l’euro :
Suite à la création de l’euro, ces trois mécanismes qui agissaient comme autant de forces de rappel permettant aux différentes économies européennes de toujours trouver un équilibre et de croître, disparurent. Les pays proches de 0 qui adoptèrent l’euro expérimentèrent dès lors une monnaie forte, des taux d’intérêt bas et une croissance élevée des salaires réels, avec les conséquences suivantes :
L’ancrage de fait de leur monnaie aux monnaies fortes de la zone euro se traduisit par une détérioration de leur compétitivité-prix.
Les taux d’intérêt chutèrent fortement à cause de la perception des investisseurs que le risque de défaut était dès lors partagé entre tous les pays de la zone euro, et surtout que l’Allemagne, le pays le plus solide économiquement et financièrement, renflouerait les pays en difficultés. Ce phénomène déclencha une demande très forte et sans précédent de crédits en Europe du Sud de la part des gouvernements (Grèce), des agents économiques privés (Espagne), ou des deux. Cela
conduisit d’une part à des bulles d’actifs, particulièrement dans l’immobilier. D’autre part, la quantité de crédits accumulés devint totalement disproportionnée par rapport à la capacité des Etats, des sociétés et des ménages à les rembourser compte tenu de la faible productivité des pays concernés.
Même si l’inflation baissa, en partie grâce aux avantages d’une monnaie forte qui limite l’inflation importée, les salaires nominaux continuèrent à augmenter à peu près au même rythme qu’avant l’euro. En conséquence, les salaires réels progressèrent plus rapidement dans le sud que dans le nord de l’Europe, ce qui eut pour résultat de dégrader encore davantage la compétitivité des pays d’Europe du Sud.
En empêchant les nécessaires dévaluations régulières des monnaies des pays d’Europe du Sud, l’euro a totalement désorganisé leur économie, après avoir laissé croire à leur population que la monnaie unique avait apporté une prospérité éternelle. Avec pour conséquence que ces pays sont en récession, ou au mieux en stagnation, depuis maintenant sept ans.

La fin de l’euro programmée
Pour restaurer la compétitivité-prix des pays d’Europe du Sud, la seule alternative à la sortie de l’euro est la baisse des salaires et des prix, combinée avec des plans permanents de sauvetage financier et de subventions accordées par les pays proches de 10 aux pays proches de 0. Cette alternative part du principe que la zone euro deviendra avec le temps une zone monétaire optimale.
Un tel plan s’avèrera cependant trop coûteux en termes de croissance et d’emploi, et finalement inacceptable à cause de ses conséquences sociales désastreuses. Il implique en effet des décennies de déflation, de chômage de masse et de misère sociale dans le sud. Il finira par être rejeté par les populations qui porteront au pouvoir une nouvelle génération politique non compromise par l’échec de l’euro, et qui aura le courage d’organiser le démantèlement de la monnaie unique.
Après une période turbulente d’adaptation, la croissance économique repartira selon le modèle d’avant l’union monétaire. L’Europe pourra enfin tourner la page de l’expérience dysfonctionnelle de l’euro. L’espoir renaîtra en Grèce, dans la péninsule ibérique, en Italie, et en France, pour des millions de laissés-pour-compte, aujourd’hui victimes d’un projet technocratique insensé qui aura voulu défier les lois de la gravité économique.

Pierre Châtain, 27 mars 2015

11 commentaires

  1. Posté par Le pragmatique le

    Burkhalter a donné une enveloppe au Sapin de noel pour avancer de telles aberrations ?

  2. Posté par verger le

    Bel article, entièrement d’accord,l’euro est une monnaie commune à des économies qui n’ont rien en commun

  3. Posté par Roger Uldry le

    Je me demande comment font les USA. Car la différence, entre un Etat industriel du Nord, florissant et un Etat pauvre du Sud comme la Louisiane, est énorme ! Ont-ils les mêmes salaires ? la même inflation ? les mêmes taux d’intérêt ? Wall-Street fait-elle la différence ?

  4. Posté par Ueli Davel le

    J’ai arrêté de manger des choux de bruxelles, j’aime pas les choux de Bruxelles, les choux de Bruxelles avec ce goût d’OTAN, me fait flatuler et l’€ me fait rotter et les fonctionnaires bruxellois ainsi que les politicars mis sur la voie de garage bruxelloise sont des parasites vivant sur le dos des citoyens ruinant leur travail et leur avenir. Ulysse il est temps de quitter le bateau Suisse en péril pour une Europe flamboyante.

  5. Posté par bul le

    ça n’a de projet technocratique que la façade, c’est un projet impérialiste us entreprit et financés par eux depuis des décennies, voir les analyses sourcées de l’UPR sur le sujet, vous manquez d’infos et pas n’importe lesquelles !

  6. Posté par Vautrin le

    L’idée même de l’euro était stupide dès le départ. Comment pouvait-on imposer une monnaie unique à un amalgame de pays hétérogènes par la culture, l’économie, le niveau de vie etc… ? Il était évident que les pays à monnaie forte (essentiellement l’Allemagne) allaient devoir négocier comme marchands de tapis avec des pays dilettantes comme la Grèce, l’Espagne, ou même la France soviétisée, qui ne feraient aucun effort pour se mettre aux nouvelles normes. Le Royaume Uni a gardé sa monnaie et ne s’en porte pas plus mal, il connaît la croissance, tandis que la zone euro – notamment dans sa composante sudiste – stagne ou régresse. On ne marie pas la carpe et le lapin. Tout dépendra, pour la suite, de l’évaluation que fera l’Allemagne de son intérêt : garder l’euro ou le jeter aux orties ? Je n’ai évidemment pas de conseil à donner à mes amis Suisses, mais je pense qu’il serait désastreux pour eux d’entrer dans le système soviéteuropéen. Ils y perdraient leur autonomie et leur prospérité.

  7. Posté par Alain le

    Pas du tout d’accord!!! Le problème de l’ Europe c’est l’évasion fiscale ou la fraude./ Le prix du pétrole montait car le dollar se dépréciait. Entre-nous la crise des « subprimes aux states n’a t’elle pas pourrie nos banques. Et l’or papier n’y est-il pour rien dans cette crise? And last but not least: que dire du paiement des échanges mondiaux qui se font paraît-il pour 87% en $.
    Et comme diraient nos amis Chinois, la crise est aussi une opportunité!

  8. Posté par Michel le

    Très juste analyse. L’euro c’est la misère et le désespoir pour le plus grand nombre. Rien qu’à voir la progression du chômage on a presque tout compris. Pierre Ulysse parle de commerce intra-européen avec un temps de retard car le commerce n’est pas seulement intra-européen : il est aujourd’hui mondial. En finir au plus vite avec l’euro…et qui plus est avec l’Europe ! C’est un parfait désastre. Il faut être fonctionnaire à Bruxelles où élu pour oser affirmer le contraire.

  9. Posté par ROCHAT le

    « Posté par Pierre ULYSSE le 27 mars 2015 à 21h04
    […] Peut-être que des pays d’Europe fragiles et mal gérés sortiront de l’euro, les pays solides y resteront.
    […]
    En restant hors euro, la Suisse court à la ruine, soit qu’elle laisse le franc suisse flotter, soit qu’elle recommence à gaspiller jusqu’à 100 milliards par an pour arrimer le franc suisse à l’euro.
    Le nationalisme aveugle n’a jamais fait marcher les affaires. »

    1. En écrivant « Peut-être que des pays d’Europe fragiles et mal gérés sortiront de l’euro, les pays solides y resteront. », vous ne faites que confirmer ce que dit l’article à ce sujet.

    2. « En restant hors euro, la Suisse court à la ruine, soit qu’elle laisse le franc suisse flotter, soit qu’elle recommence à gaspiller jusqu’à 100 milliards par an pour arrimer le franc suisse à l’euro. »
    La Suisse et son CHF se portent pas trop mal.
    C’est la BNS qui a voulu « arrimer » le CHF à l’EURO, c’était une profonde stupidité (le marché a toujours raison, …. il finit toujours par s’autoréguler, on ne peut pas aller contre). La BNS a effectivement gaspillé des milliards et des milliards de en pure perte, l’erreur provenait des dirigeants de la BNS pas du CHF.

    3. « Le nationalisme aveugle n’a jamais fait marcher les affaires. »
    Pierre ULYSSE, qui est aveugle ici, en tout cas pas le peuple suisse, … mais plutôt vous-mêmes et les « élites » bienpensantes.
    Grâce à la sagesse et la combativité des chefs d’entreprise, les affaires en Suisse ne marchent pas trop mal.
    Par ailleurs, des Patriotes suisses continuent d’aimer leur pays … et ils ont bien raison

  10. Posté par Pierre ULYSSE le

    Excusez-moi de le dire un peu brutalement : la démonstration ci-dessus est fausse du début à la fin.
    Peut-être que des pays d’Europe fragiles et mal gérés sortiront de l’euro, les pays solides y resteront.
    Des haruspices pourront continuer pendant longtemps à prédire la mort prochaine de l’euro.
    L’euro, par les immenses commodités qu’il apporte, et les économies de gestion et de change qu’il a procuré aux entreprises, A BOOSTE LE COMMERCE INTRA-EUROPEEN.
    En restant hors euro, la Suisse court à la ruine, soit qu’elle laisse le franc suisse flotter, soit qu’elle recommence à gaspiller jusqu’à 100 milliards par an pour arrimer le franc suisse à l’euro.
    Le nationalisme aveugle n’a jamais fait marcher les affaires.

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