Brexit. Editorial R. Koeppel : Et une vie nouvelle fleurit sur les ruines

Le Brexit est l'événement le plus réjouissant depuis l'adoption de l'initiative contre l'immigration de masse, en plus important. La sortie de l'UE des Britanniques fait bouger les lignes. Le choc est salutaire. Le Brexit renforce la Suisse. Et l'Europe.

J'étais au lit avec un vilain rhume lorsque le SMS d'un ami sur mon téléphone portable m'annonça la nouvelle du Brexit. Encore incapable de reconnaître la portée historique de cette nouvelle, un sentiment d'euphorie grandissante s'empara bientôt de moi. J'avais, moi aussi, fait partie de ces découragés qui n'avaient pas cru les Britanniques capables cette décision populaire phénoménale, bienfaisante et qui ferait date. Comme beaucoup d'autres, je pensais que les scénarios catastrophes et les tentatives d'intimidation des adversaires du Brexit impressionneraient, qu'une sortie, un divorce serait trop douloureux pour les Britanniques abasourdis par une inlassable propagande. Quelle erreur!

 

Une décision bien calculée

Je m'incline, rempli d'admiration, face à cette décision. Les Britanniques ont opté délibérément et de façon bien calculée pour le retour à leur autodétermination, leur liberté et leur démocratie, malgré les cahots économiques du moment. Dans le fond, ils veulent la même chose que les Suisses: de bonnes relations fortes avec tous les pays du monde, y compris les États membres de l'UE. Ils aspirent à la plus grande liberté possible du commerce. Ils sont ouverts. L'objectif est aussi une libre circulation des personnes qu'ils contrôlent, adaptée sur mesure à leurs propres besoins. Les Britanniques veulent coopérer avec d'autres pays et faire du commerce sans pour autant abdiquer leur identité ni se lier sur le plan politique.

 

Vouloir cela n'est pas un «repli» ou l'expression d'un «populisme en colère». C'est tout simplement revenir à soi-même et aux meilleures pratiques de coopération entre États. L'UE s'est mue au cours des vingt dernières années, en dépit de toutes les bonnes intentions initiales, en une créature hybride dangereuse mi-État fédéral, mi-fédération d'États. Le problème spécifique que cela pose réside dans le fait que l'UE a remplacé des institutions d'États-nations qui fonctionnaient par des institutions supranationales qui ne fonctionnent pas. Le résultat est une décomposition rampante des processus démocratiques de l'État de droit dans le bain acide du supranationalisme. Les conséquences de la crise sont connus et visibles: situation déplorable de l'euro, débâcle de l'asile, effondrement des frontières extérieures. Tout cela précédé par des violations du droit et des abrogations de règles européennes.

 

Dans l'impasse

Pour venir à bout des problèmes qu'elle a elle-même créés, l'UE devrait se consolider institutionnellement en un État. Elle pourrait alors remplir à nouveau ses fonctions régaliennes, sécuriser ses frontières extérieures, contrôler ses budgets nationaux, soutenir l'euro, contraindre par des sanctions ses membres, autrement dit ses cantons, à respecter leurs engagements. Toutefois, cette possibilité devient inapplicable – au plus tard – avec le Brexit. Les Européens, ainsi que probablement les gouvernements, ne sont plus séduits par l'idée d'un super État orchestré par Bruxelles. Au contraire, l'impression se répand que l'UE concentre déjà trop de pouvoir et d'influence. «Démantèlement au lieu d'élargissement», telle est la devise. Le président de la Commission Juncker n'a, cependant, pas l'air prêt à se frotter à la réalité.

 

Une vie nouvelle fleurit sur les ruines. Le Brexit est une détonation au plus profond de l'UE, une rupture de digue grave, une puissante avalanche. On ne peut pas encore mesurer tout ce qu'il va entraîner dans son sillage. Des visions du monde s'effondrent, des carrières se brisent. Des mensonges de toute une vie volent en éclats. C'est comme dans un vieil abri anti-aérien où l'on fait sauter un mur pour laisser entrer l'oxygène vital par le trou. C'est revigorant et libérateur, mais cela apporte aussi le désespoir et demande beaucoup d'efforts. Les eurocrates sont forcés à quitter leur orbite, ce qui est salutaire. Maintenant, ils abreuvent les Britanniques de commentaires fielleux. Les prisonniers se plaignent de leurs anciens codétenus qui ont réussi à s'évader, tout en essayant de persuader ceux qui n'y sont pas parvenus des vertus de leur prison. C'est un peu méchant, mais pas faux. Les Britanniques du Brexit ont raison. L'UE d'aujourd'hui a échoué, c'est un modèle dépassé. Par deux fois, les Britanniques ont sauvé l'Europe des Allemands. Après les deux guerres mondiales, l'UE a émergé en tant que grand projet de paix. Que les Britanniques veuillent aujourd'hui en sortir de leur plein gré montre clairement que quelque chose de fondamental ne va pas avec l'UE.

 

Merkel ou la modération

Pour les Allemands, cette rupture est particulièrement douloureuse. L'UE est pour eux un ersatz de patrie, pour ainsi dire le grand programme de réhabilitation et de resocialisation après deux guerres mondiales, qui a permis à ceux qui étaient honnis de renaître sur le plan international, vêtus des habits européens.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Angela Merkel sait que l'UE ne peut, ni ne doit se permettre de se livrer à une guerre des nerfs avec Londres.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le Brexit déclenche tout naturellement en Allemagne des troubles de l'identité politique et des surréactions émotionnelles. Le week-end dernier, un commentaire hystérique a assimilé dans la presse les partisans du Brexit épris de liberté aux nazis qui ont détruit la République de Weimar avant la prise du pouvoir par Hitler. Il ne faut pas surestimer ce genre de dérapages, mais ils montrent fort bien comment l'incertitude se transforme en peur et la peur en arrogance intellectuelle. Mais il est aussi vrai que la chancelière allemande, Angela Merkel, est celle qui a réagi jusqu'à présent avec le plus de pondération. Elle sait que l'UE ne peut se permettre de se livrer à une guerre des nerfs avec Londres, pas plus qu'elle ne le doit. Cette physicienne intelligente qui a aidé le camp du Brexit avec sa politique des réfugiés reste dans une Europe effrayée, malgré toute ses erreurs, la voix la plus raisonnable de la modération que nous ayons.

 

Jean le chanceux

Le plus scandalisant vendredi dernier, ce fut le Conseil fédéral. Le gouvernement n'était pas préparé, en dépit d'une année de rodage. On n'avait pas réfléchi à la possibilité, jugée peu probable, que les Britanniques osent sortir. Les prises de parole ont eu l'allure de tragédies exprimant l'abattement. Le président de la Confédération a lu d'une voix catastrophée sa déclaration. Son collègue Secrétaire d'État des Affaires étrangères ne s'est pas lassé de marteler que le Brexit ne ferait que tout compliquer maintenant pour la Suisse. Or, c'est précisément le contraire: le Brexit renforce la Suisse. L'Europe névrotique, adepte des camisoles de force, des relations politisées et bureaucratisées à l'extrême, a pris un coup sévère. Avec les Britanniques, c'est le triomphe du désir fondé sur d'autres formes libres, disons-le tranquillement bilatérales, donc égalitaires, de coopération des États, de commerce et d'échanges, sans la contrainte du mariage politique. Telle est la position des partisans du Brexit. C'est au demeurant la recette de la Suisse qui a donné de bons résultats depuis des siècles.

 

La Suisse ne devrait pas se terrer maintenant. Elle ne doit pas non plus fanfaronner. Mais elle peut, de sa position renforcée, présenter son point de vue avec assurance. Nous sommes indépendants. Nous voulons d'excellentes relations avec l'UE comme avec tous les autres pays du monde. Nous avons l'une des meilleures économies nationales, et des plus ouvertes. Rien que l'année dernière, la Suisse a atteint, malgré le choc du franc et l'initiative contre l'immigration de masse, le sixième rang en termes d'investissement étranger, progressant ainsi de 32 places! Après le Brexit, la possibilité de se mettre d'accord avec l'UE sur la libre circulation des personnes augmente. Bruxelles ne veut pas maintenant risquer de rupture supplémentaire sur un dossier emblématique. Si l'UE continue néanmoins de s'entêter, nous devons être prêts à une mise en œuvre unilatérale de l'article sur l'immigration. L'immigration de masse galopante dans le sillage de la libre circulation des personnes a participé de la décision en faveur du Brexit. Difficile de refouler le désir des citoyens de reprendre en main la gestion des migrations dans leurs pays, non seulement en Suisse, mais dans toute l'Europe.

 

Le Conseil fédéral pourrait aussi suivre l'exemple des Britanniques. Ils osent même larguer les amarres. Ils enterrent des centaines d'accords et de contrats. Les Britanniques vont devoir renégocier tous leurs anciens traités de libre-échange parce qu'ils étaient liés au monde par leur adhésion à l'UE, principalement par le truchement de Bruxelles.

---------------------------------------------------------------------------------------

On ne se laisse tout de même pas attacher à un navire qui coule.

---------------------------------------------------------------------------------------

Ils osent au nom de leur liberté franchir le pas, tandis que le Conseil fédéral se désespère face à l'éventualité de mettre à mal six accords bilatéraux sur plus de 200, la plupart dans l'intérêt de l'UE, à la suite d'une décision populaire. Le gouvernement peut maintenant dormir sur ses deux oreilles, du moins en ce qui concerne l'accord européen sur la recherche «Horizon 2020». Cet accord monté en épingle perd énormément de sa valeur avec la sortie des universités britanniques avec le Brexit. La Suisse et l'Angleterre ont les meilleures universités en Europe. Personne ne croit sérieusement que l'UE peut se permettre le luxe de bannir ces universités. Ici aussi, cela se présente bien. À condition de le vouloir.

 

Un matin magnifique

Le conseiller fédéral Didier Burkhalter, sorte de Jean le chanceux de la politique étrangère, fait actuellement l'impression d'être pris d'une gaieté irrésistible. Nous interprétons cela comme un bon signe. Le Neuchâtelois devrait profiter de cette occasion propice et stopper immédiatement les négociations sur l'accord-cadre de l'UE. Depuis huit ans, Bruxelles nous harcèle avec sa volonté de lier la Suisse aux institutions de l'UE. Nous devrions reprendre le droit communautaire de demain, accepter en cas de litige des juges européens, encourir des sanctions en cas de non-respect, verser chaque année un tribut à l'UE et accepter une commission de surveillance de l'UE dans le pays. La Suisse perdrait ce qui la rend forte: son indépendance. Ces convoitises peuvent être rejetées sans hésitation après le Brexit. On ne se laisse tout de même pas attacher à un navire qui coule. Le fringant chef de la diplomatie de Burkhalter, de Watteville, pourra le formuler plus élégamment à Bruxelles. La Suisse est indépendante ou ne l'est pas.

Quel matin magnifique après le Brexit.

Source : Roger Koeppel, Editorial, Die Weltwoche, 29 juin 2016, le lien, ici

13 commentaires

  1. Posté par Michel Mottet le

    Je ne vois pas comment l’Europe pourrait « refleurir », selon le terme employé par M. Köppel, sur les ruines du Brexit avec comme Fuhrerin Merkel, fille de Kalergi. Je la vois plutôt en décomposition avancée avec l’invasion mise en route par cette apprentie sorcière.

  2. Posté par Jacques le

    M. Koeppel, une valeur sûre ! Comme lui, je craignais que la propagande massive des media maintream fasse capoter le Brexit. Honneur au peuple britannique. Après avoir empêché le triomphe du Troisième Reich, il a initié la déconfiture de l’UE, ce monstre anti-démocratique. Les British ont des tripes,contrairement à notre Conseil fédéral !.

  3. Posté par jjames le

    Hé les suisses ne vous réjouissez pas trop vite du Brexit
    Le beurre l’argent du beurre et la crémière ne sont encore ni dans les poches ni dans le lit des anglais 🙂

  4. Posté par Amarillys Taylor le

    On attend avec impatience l’implosion de cette UE dictatoriale qui au lieu de rester une union économique a changñe au fil des ans pour une dictature de la pensée forçant ses malheureux adhérents à s’automutiler pour des subsides dont la perversité n’égale que l’autoritarisme sans vergogne! J’en veux pour preuve cette façon de faire du chantage quand on ne veut pas obéir à ses diktats, cette manière de « donner » des milliards pour que ceux qui ont gaspillé puissent continuer a en être membres! Tout ceci relève d’une attitude mafieuse qui menace pour obtenir.
    Félicitations aux anglais qui montrent la voie de la reconquête de l’indépendance et de la liberté.

  5. Posté par Henri le

    Bravo M. Koeppel ! Ça fait du bien dans l’ambiance médiatique dominante.

  6. Posté par Dominique Schwander le

    Excellent éditorial dans un excellent hebdomadaire.
    L’Angleterre c’est 13,5 % de la population de l’UE et 25 % des richesses de l’UE. De plus elle économisera les milliards qu’elle donne à l’UE. Conclusion: elle ira mieux, certainement mieux que l’UE, surtout que les Anglais, comme les Russes, sont résistants et courageux; ils ont résisté aux nazis!

  7. Posté par Vengeur le

    J’imagine qu’une édition en français de la WW serait bienvenue, (d’autant plus qu’une majorité de romand ne parle pas suisse allemand où allemand) le nombre d’abonnement pourraient augmenter. La surprise elle serait excellente.

  8. Posté par Irina le

    WW en français?!? Oui, traduite, car la conception de cette excellente publication n’est pas possible avec les vecteurs de la trop bien pensante et trop politiquement correcte Romandie! Je ne vois pas QUI aurait la stature de M. Koeppel! Quant à l’Hebdo…le remplacer ou même le réécrire….mais avec QUI! Je garde joyeusement mon abo à WW et encore bravo pour l’excellente et fidèle traduction!

  9. Posté par aline le

    Excellent, comme d’habitude! Mille merci à la personne qui fait la traduction. Dommage que la Weltwoche n’est pas publiée en français. Pour moi, c’est le meilleur magazine en Suisse. La Suisse romande a un urgent besoin d’une alternative au torchon L’Hebdo.

  10. Posté par bigjames le

    Excellent texte.
    Par contre , les prédictions quant aux actions de Jean LeChanceux me paraissent totalement
    illusoires. De sa part , on ne peut s’attendre qu’au baissage de pantalon.

  11. Posté par Sismondini le

    Espérons que le Brexit sonne le glas de cette Europe du désespoir des peuples qui la composent et la subissent. A quand un autre Exit ? Pourvu qu’on en finisse avec ce carcan imposé, cette camisole de force. Plus que jamais les populations se doivent de briser leurs chaînes. Bravo les anglais ! Oui, quel matin magnifique après le Brexit.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.