Sapiens – Une brève histoire de l’humanité

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Avec Sapiens - Une brève histoire de l'humanité, Yuval Noah Harari signe un ouvrage passionnant et émouvant sur notre espèce. Évoquant le destin de l'humanité depuis son émergence en tant qu'espèce dominante, il brosse le trait de son évolution jusqu'à notre époque et les futurs possibles de celle-ci. Les premières parties du livre reposent sur l'état de l'art des recherches anthropologiques (déjà dépassées) et la façon dont disparurent progressivement les nombreux frères et cousins de l'Homo sapiens d'aujourd'hui ; on passe ensuite aux balbutiements de l'histoire et l'émergence des civilisations, des conquêtes et des empires, puis l'avènement de l'âge de la science et de la connaissance, et tous les bouleversements qui attendent une espèce qui n'aura dans peu de temps vraisemblablement plus grand-chose à voir avec ceux qui peignirent les parois de la Grotte de Lascaux.

livres,histoireL'ouvrage, agréable à lire, permet de prendre du recul sur notre époque et les défis de l'humanité, malgré une plume laissant souvent transparaître les engagements politiques de gauche, les préoccupations spécistes et le point de vue israélien de l'auteur. Le livre affiche aussi quelques énormités, comme de prétendre que la recherche militaire est un phénomène récent alors que c'est une constante au moins aussi vieille que la guerre des Macédoniens d'Alexandre contre les Grecs. M. Harari n'est visiblement pas féru d'histoire militaire. Le parti-pris de l'auteur tentant de mettre tous les empires sur le même plan d'équivalence (des Romains aux Nazis en passant par les Aztèques et l'Empire Ottoman) ne paraît guère convaincant non plus, même si la marche du monde tend effectivement vers l'uniformité.

Visiblement, l'auteur est plus à l'aise dans les récits préhistoriques que dans la sociologie historique, mais ouvre tout de même des pistes de réflexion stimulantes.

Le Temps Très Long

Ne cherchez pas dans le livre les dates de naissance et de mort de quelque grand roi ; elles s'effacent devant le flot de l'histoire. Une de mes arrière-grand-mères, que j'ai connu étant enfant, naquit en 1891. Elle vécut presque un siècle et garda toute sa tête jusque dans ses dernières années. Elle passa son enfance dans un monde où il n'y avait ni électricité, ni automobile, ni aviation. Les quelques machines d'alors fonctionnaient seulement à la vapeur. Née dans le siècle des conquêtes de Napoléon, elle connut peut-être des grand-parents qui vécurent la Restauration. Elle était déjà jeune fille lorsque la Première Guerre mondiale éclata. Il est difficile d'imaginer les évolutions culturelles, géopolitiques et technologiques vertigineuses qu'elle traversa au cours de sa longue existence.

Pourtant, celle-ci n'est qu'une goutte d'eau dans l'évolution de l'humanité. Les parents étendent leur futur à l'avenir de leurs enfants. Lorsque des scientifiques évoquent le "long terme" il s'agit souvent d'un demi-siècle, rarement plus. Les médias font des rodomontades en évoquant 2050 ou 2100 sur des questions énergétiques ou de futurs conflits, mais la réalité est qu'à l'échelle des espèces ces échéances ne comptent pour rien.

L'humanité elle-même est vieille de centaines de milliers d'années.

Péripéties inutiles

Prendre pleinement conscience du Temps Très Long est probablement hors de portée de la plupart d'entre nous. La faiblesse est d'autant plus regrettable que cette échelle permet de relativiser nombre de nos efforts actuels et, en réalité, de comprendre leur totale vacuité. Yuval Noah Harari n'en parle pas directement, mais sa réflexion couchée sur le papier suffit au lecteur pour rebondir.

Prenons par exemple la préservation des espèces. On présente sempiternellement des régions sauvages d'Australie, de Madagascar ou du bassin de l'Amazone comme des lieux à préserver, et ils abritent effectivement une biosphère unique. Mais combien de temps peut-on espérer les perpétuer simplement en empêchant des humains d'y entrer? Sans même faire preuve de cynisme, il ne fait aucun doute que la forêt amazonienne ne survivra pas encore mille ans dans sa forme actuelle. Encore moins les millions d'années nécessaires à l'émergence de nouvelles espèces.

Il fallut d'autres millions d'années pour que les mammifères retournant à l'océan en devenant les dauphins d'aujourd'hui voient leurs membres inférieurs fusionner progressivement en une nageoire caudale. En vacances, les nageurs se contentent d'enfiler une paire de palmes. Les ours polaires résistent au froid ; les humains s'habillent de simples vêtements de fourrure. Aucune créature terrestre ne parvient à se déplacer avec un rendement énergétique supérieur à celui d'un cycliste. L'humanité bat la Nature à plate couture. Il n'y a même pas de match.

En Europe, les espèces menacées ou en voie de disparition sont comparativement bien moins nombreuses que sur les autres continents. On pourrait commettre l'erreur de croire que les Européens ont été plus préoccupés de la préservation de la biodiversité ou l'ont été plus tôt, mais la réalité est toute autre. Le continent européen a été colonisé par l'Homme bien avant que le concept même de biodiversité soit inventé. Toutes les espèces qui ne pouvaient pas coexister avec l'Homo sapiens ont disparu depuis longtemps.

Bien entendu, cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer à préserver les espèces - simplement qu'il est vain de croire que cela suffira pour n'importe quelle période de temps vaguement utile à l'échelle de l'évolution. La croissance de l'humanité, sa diffusion dans le monde, sa capacité d'adaptation font qu'il vaut mieux chercher à stocker l'ADN de différentes créatures dans un ordinateur que de penser préserver leur habitat naturel pour les siècles des siècles. Sur le long terme, aucun "sanctuaire" ne saurait jamais perdurer.

Le futur de l'humanité

Les ruptures technologiques et l'incertitude liée aux événements mondiaux (guerres, crises économiques ou épidémie) rendent très incertaines les prévisions sur le futur de notre espèce, de notre civilisation. Même les auteurs de science-fiction ne s'y prêtent guère. Ils évoquent parfois des empires galactiques ou esquissent quelques merveilles dont pourrait disposer l'humanité de demain, mais se contentent de transposer des situations quotidiennes dans un univers merveilleux. Pour rester accessible au lecteur, leurs héros du futur ont des motivations très humaines.

Rien n'indique que ce sera le cas. Certaines caractéristiques de l'humanité traversent les époques, mais l'humanité elle-même semble peu à peu laisser la place à autre chose. Plusieurs pistes sont possibles - l'émergence d'une intelligence artificielle purement informatique, l'évolution maîtrisée de l'humain à travers l'ingénierie génétique, la correction de l'ADN et la cybernétique, et enfin la création d'une nouvelle espèce ex-nihilo une fois que tous les secrets du génome auront été dévoilés.

Bien sûr, nous n'en sommes qu'aux balbutiements. Les résistances éthiques sont grandes aujourd'hui et défendues de façon respectables, mais elles ne sauraient tenir pour les siècles des siècles, selon la formule consacrée.

A quoi ressemblera le post-Humain? Aujourd'hui, personne ne peut le dire, mais chacun sent pourtant que ce moment finira bien par arriver. Avec ses capacités de raisonnement et ce qui lui tiendra lieu de morale, il aura peut-être des sentiments navrés pour les êtres imparfaits qui lui donnèrent naissance. Mais même cela est une transposition de nos états cognitifs actuels. Nous n'avons pas la moindre idée de ce que seront les sentiments éprouvés par les créatures du futur comparés aux nôtres. Nos querelles actuelles sur la religion monothéiste du moment, les droits des uns et des autres et le meilleur modèle économique leur paraîtront des trivialités.

La Voie lactée sera peut-être colonisée par des androïdes pensants pendant que les derniers humains s'abandonneront volontairement dans la Matrice en fermant la porte derrière eux, ou deviendront immortels. Comme le résume l'auteur, "l'histoire a commencé quand les hommes ont inventé les dieux. Elle s'achèvera quand ils deviendront des dieux."

Un livre pour ceux qui aiment le vertige.

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur LesObservateurs.ch, le 20 juin 2017

Un commentaire

  1. Posté par conrad hausmann le

    Si j’ai bien compris ce bouquin mélange les genres.Est-il scientifique ou scientiste ou donne-t-il dans la science fiction ?L’esprit scientifique est essentiellement une rectification du savoir.Et la science-la vraie- ne peut ètre qu’expérimentale, et donc ne permet pas des projections dans l’avenir. Au-delà c’est de la science-fiction ou de la religion. C’est vrai que si on « mélange  » ces trois genres différents on attrape…le vertige !La fiction reste une construction totalement arbitraire donc rien de scientifique.

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