L’Arabie saoudite a perdu la bataille en Syrie

Michel Garroté
Politologue, blogueur
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Michel Garroté  --  En acceptant que Bachar el-Assad restera au pouvoir, Mohammad ben Salmane reconnaît l’échec de la politique saoudienne (source en bas de page). L’Arabie saoudite admet pour la première fois publiquement sa défaite en Syrie. En déclarant la semaine dernière dans une interview en marge de sa tournée américaine que « Bachar el-Assad restera (au pouvoir) », le prince héritier Mohammad ben Salmane (MBS) a officialisé le décrochage de Riyad sur le front syrien. Cette déclaration représente moins un revirement de la politique étrangère du royaume qu’une officialisation du désengagement progressif de Riyad entamé au moment de l’intervention militaire russe en septembre 2015.
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Premier grand déplacement diplomatique de MBS, son séjour outre-Atlantique doit durer trois semaines. C’est l’occasion pour le jeune prince héritier d’apposer une marque plus personnelle à la diplomatie du royaume. L’intervention en Syrie est davantage l’œuvre de son oncle, le roi Abdallah, et de son père le roi Salmane. « Ce qui est véritablement nouveau dans les déclarations de MBS au Time, c’est que Riyad tend à parler de politique étrangère en public », explique à L’Orient-Le Jour Simon Henderson, consultant au Washington Institute. La déclaration de MBS est ainsi l’affirmation d’une nouvelle dynamique, signalant un recentrage des efforts saoudiens en Irak, où le royaume est à la manœuvre, mais surtout sur le front yéménite, où l’Arabie saoudite croit encore dans ses capacités à remporter des victoires décisives malgré l’embourbement.
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Si Riyad a soutenu militairement une partie de l’opposition anti-Assad à partir de fin 2012, ses motivations étaient moins liées au président syrien qu’à la dépendance de Bachar el-Assad envers Téhéran. Même si le régime syrien n’a jamais été accommodant pour le royaume avant les printemps arabes, l’évitement de la rupture totale entre les deux pays a primé, même au plus fort des tensions avec l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. L’hypothèse était que plus Bachar el-Assad se sentirait isolé sur la scène régionale, et plus il renforcerait ses liens avec Téhéran. MBS semble renouer avec cette logique puisqu’il précise, dans son interview au Time : « Je crois que Bachar a intérêt à ne pas laisser les Iraniens faire ce qu’ils veulent. » « MBS pense qu’il peut travailler avec Bachar el-Assad pour réduire l’influence iranienne. C’est trop optimiste, Assad a été prêt à dormir avec le diable », ajoute M. Henderson.
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Au début de la guerre civile, le roi Abdallah est resté fidèle à la préférence saoudienne pour la stabilité autoritaire, et a donc temporairement soutenu Bachar el-Assad. C’est la crainte d’une contagion insurrectionnelle qui domine, d’autant plus que le royaume est très hostile à tous les mouvements appartenant à la galaxie des Frères musulmans. Mais progressivement le royaume abandonne le statu quo traditionnel pour miser sur un changement de régime. La répression d’un pouvoir alaouite contre des manifestants majoritairement sunnites a sans doute joué un rôle. La dépendance croissante de Damas envers Téhéran arrive cependant au sommet des motifs de l’intervention saoudienne. « L’Iran voit la Syrie comme une avenue vers le Hezbollah et Téhéran est déterminé à travailler avec Bachar el-Assad », explique M. Henderson. La Syrie est le tronçon vital de la voie d’approvisionnement en armes vers son principal obligé dans la guerre par procuration avec Israël, celle-là même qui lui permet de peser à l’échelle internationale.
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Le soutien à l’opposition syrienne a toutefois été basé sur une série d’erreurs de calcul, et notamment une lecture erronée des intentions de Barack Obama. Les États-Unis n’interviendront pas de façon décisive dans le conflit, comme l’escomptait Riyad qui dépend largement de Washington pour accomplir son agenda régional. Une incompréhension que le veto américain sur la livraison d’armes antiaériennes aux rebelles a amplement attestée.
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 « C’est davantage le Qatar qui était à l’avant-garde en Syrie. L’Arabie saoudite est arrivée plus tard, et au lieu de s’entendre avec Doha ils ont préféré débaucher les rebelles soutenus par le Qatar », souligne pour L’OLJ Fabrice Balanche, géographe spécialiste du Moyen-Orient. Riyad reprochait à Doha et Ankara leur soutien disproportionné aux Frères musulmans. Les trois principaux sponsors de l’opposition ont brûlé les étapes en projetant sur le camp anti-Assad leurs préférences politiques, anticipant déjà un gouvernement sunnite allié dans la Syrie post-Assad. La rivalité entre les éléments de l’opposition soutenus par l’Arabie saoudite et ceux qui l’étaient par le Qatar et la Turquie mène à la démission en 2013 de son premier président et potentielle figure unificatrice Moaz el-Khatib, signant le début de l’accaparement du Conseil national syrien par des forces pro-saoudiennes. Alors que l’axe chiite Iran-Syrie-Hezbollah est resté cohésif, c’est les factions qui ont prévalu au sein de l’opposition sunnite. Son implication dans le conflit, tout comme celui de la Turquie, du Qatar ou de l’Iran, a contribué à amplifier le facteur confessionnel et à marginaliser les groupes les plus modérés, moins financés et structurés et donc moins attractifs.
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L’intervention saoudienne connaît pourtant un moment de pic au printemps 2015. Mettant leur rivalité de côté, Riyad, Doha et Ankara s’entendent pour soutenir ensemble les rebelles syriens qui parviennent à prendre la province d’Idleb en mars 2015 et qui menacent Lattaquié, l’un des fiefs du régime. Ce dernier est sur le point de s’effondrer avant que Moscou ne vienne à son secours à partir de septembre 2015. « L’intervention russe constitue un tournant pour la politique saoudienne en Syrie », explique Christopher Phillips, professeur à la Queen Mary University (Londres). Moscou renverse le cours du conflit en faveur du régime, et dans les situations difficiles, « l’opposition syrienne n’est jamais sortie renforcée des tentatives saoudiennes pour la structurer », souligne Eberhard Kienle, directeur de recherche au CERI de Sciences Po.
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Les chemins divergents empruntés par la Turquie et le Qatar ont contribué à isoler l’Arabie saoudite sur la question syrienne. À partir de 2016, Ankara amorce une détente avec la Russie, couronnée par la levée progressive des sanctions économiques (consécutives à la destruction d’un avion russe par la Turquie en novembre 2015) et un rapprochement avec l’Iran. Trouver un modus vivendi avec les deux parrains du régime baassiste était pour la Turquie la porte d’entrée nécessaire pour avancer dans le nord de la Syrie, où l’emprise kurde constitue aux yeux d’Ankara une menace stratégique de premier ordre. Ankara abandonne Alep-Est, repris par le régime en décembre 2016, et utilise les dernières factions rebelles comme des fantassins au service de son combat contre les Kurdes.
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Quant au Qatar, son isolement au sein du Conseil de coopération du Golfe l’a poussé à réévaluer sa position sur la Syrie en normalisant ses relations avec l’Iran et en renforçant son alliance avec la Turquie. Le Qatar a fait pression sur Ahrar al-Cham et Faïlaq al-Rahman, soutenu par Doha, pour mettre fin à leur résistance dans la Ghouta et l’émir Tamim a été reçu dernièrement par le président russe à Moscou. La mise au ban du Qatar orchestrée par Riyad et Abou Dhabi, moteur du rapprochement de Doha avec les maîtres du jeu syrien, illustre ainsi l’hyperactivité contre-productive de MBS qui « a mené de front la guerre au Yémen, la gestion de la crise syrienne, son offensive contre Doha au sein du CCG et sa tentative de reformation du gouvernement libanais avec la démission forcée de Saad Hariri. Cet investissement diplomatique est au-dessus des capacités du royaume », selon M. Phillips.
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Riyad espère aujourd’hui que  Washington va se maintenir en Syrie, afin d’endiguer le corridor chiite qui est déjà créé, selon Fabrice Balanche. Un corridor qui reste cependant fragile car contesté par Washington, Riyad et Tel-Aviv. Donald Trump a toutefois été clair mardi au cours d’une conférence de presse à la Maison-Blanche : si Riyad compte sur Washington pour assurer ses intérêts en Syrie, il va falloir passer à nouveau à la caisse.
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Adaptation de Michel Garroté pour LesObservateurs.ch
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https://www.lorientlejour.com/article/1108845/comment-larabie-saoudite-a-perdu-la-bataille-en-syrie.html
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